Casse-toi, pauvre con! En voilà une expression vive et familière! On peut même dire populaire! Une
vidéo, sur le site d’un quotidien français, laisse entendre le chef de l’Etat français, très rapidement,
prononcer cette phrase somme toute assez anodine.
Ce n’est pas une affaire d’Etat, ce n’est d’ailleurs pas une affaire du tout, et de toute façon, Nicolas
Sarkozy n’est pas le premier président de la République française à avoir un langage un peu vert, en
marge de ses paroles officielles: le général de Gaulle était, paraît-il, coutumier de la chose, et Jacques
Chirac aussi. Mais ça nous donne l’occasion, pas si fréquente dans le mot de l’actualité, d’aborder
justement ce genre de langage populaire et très courant.
Et on peut l’aborder par exemple d’un point de vue historique, et même historique récent. En effet, on
sait que les mots argotiques ou familiers, qui appartiennent beaucoup plus à la langue parlée qu’à la
langue écrite, ont des temps et des durées de vie très imprévus: parfois très longs (il y a beaucoup de
mot d’argot qui remontent au Moyen Âge), parfois avec des modes, ou des sens qui durent très peu.
C’est d’ailleurs pareil pour l’espace: un mot n’a pas le même degré de grossièreté selon la latitude où
on le prononce.
On a dit par plaisanterie, mais il y a quelque chose de vrai là-dedans, que le mot "con", dans le sudouest
de la France, était plus une ponctuation qu’un mot. Il est vrai que parfois il est presque
l’équivalent familier de "dis-moi" ou "eh ben! ": "Tu arrives avec deux heures de retard, con!". Bien
|
|
sûr on est dans un registre très familier. Mais même dans le nord de la France, le mot n’a pas la même
valeur aujourd’hui qu’il y a trente ans: en une ou deux générations, il a changé de silhouette, et s’il
n’est pas indiqué dans une société choisie, il est bien plus souvent entendu.
Le mot "con" a aujourd’hui un sens standard: il est relativement insultant, et correspond bien souvent
à crétin, imbécile, en plus fort et plus cru.
Mais le mot a un sens propre le plus souvent oublié, et en tout cas qui n’est nullement présent dans
son emploi ordinaire: c’est l’un des nombreux mots qui désignent le sexe féminin, et depuis fort
longtemps: il dérive du latin (cunnus avait ce même sens), mais il est incroyablement en perte de
vitesse dans cet emploi. Ce n’est pas qu’aujourd’hui on soit plus prude, ou qu’on en parle moins, mais
on a recours, le plus souvent à d’autres mots.
Vers le XVIIIe siècle, d’après le dictionnaire historique d’Alain Rey, on commence à en trouver des
attestations avec le sens d’imbécile. L’emploi oral dans ce sens est vraisemblablement plus ancien,
mais les mots s’envolent alors qu’on le sait, les écrits restent. Le glissement de sens est évidemment
sexiste, et même, on peut le dire, macho. Même si, à y bien regarder, on trouve des dérives de sens qui
font glisser des sobriquets du sexe masculin, en lui donnant le sens d’imbécile.
Actes du colloque «Le français parlé dans les médias: les médias et le politique» (Lausanne / 2009)
Marcel Burger, Jérôme Jacquin, Raphaël Micheli (éds)
non prononcé en radio [ On se souvient que bien souvent le mot est utilisé dans des expressions qui
indiquent simplement un sens négatif: "un jeu de cons", est un jeu idiot; "une idée à la con" est une
idée idiote. Là encore, tout dépend du contexte: ce n’est jamais une langue très surveillée, mais ce
n’est pas non plus abominablement vulgaire… juste un peu! Tout est affaire de contexte. Et même
l’adjectif préalable "pauvre con! " n’est pas très aimable certainement, mais plus anodin que "sale
con". ]
CON (Libération, 01/03/2008) Didier Péron
"Casse-toi pauvre con" est devenu, en quelques heures, le slogan phare de la présidence
Sarkozy, supplantant - sur fond d'augmentations mirifiques du plat de coquillettes et de
|
|
redémarrage à la hausse du chômage - le déjà complètement éculé: "Travailler plus pour
gagner plus." Cette répartie du Président à un visiteur du Salon de l'agriculture - un homme
d'un certain âge accueillant la main tendue de Sarkozy du peu cordial (et grammaticalement
incorrect) "Touche-moi pas, tu me salis" - était étrangement minorée, notamment par Jean-
Pierre Raffarin, comme "un dialogue privé, d'homme à homme, direct et viril". Direct, d'accord,
mais viril? L'insulte structure le champ politique, elle déplace la violence physique dans l'ordre
de la joute verbale. En latin, "insultare" désigne encore l'action physique de sauter sur
quelqu'un.
Il s'en est donc fallu de peu que Sarkozy et le visiteur ne se crachent sur les poings et se
castagnent comme deux matamores tout rouges dans la cour de récré. Il faut dire que le Salon
de l'agriculture est un haut lieu de la contestation politique et du franc-parler gaulois.
Rappelons ainsi que l'association féministe les Chiennes de garde fut créée en réaction aux
invectives sexistes lancées par les agriculteurs furibards contre Dominique Voynet en mars
1999. Entre autres amabilités servies à la ministre de l'Environnement: "Tire ton slip, salope!",
Édith Cresson, première femme à occuper le poste de Premier ministre à Matignon, fut
accueillie par des paysans avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: "On l'espère
meilleure au lit qu'au ministère." Patrick Devedjian laissant échapper un "salope", fort
disgracieux chez un homme d'habitude si pondéré, à propos de la candidate Modem aux
dernières législatives Anne-Marie Comparini ou, selon une indiscrétion du Canard enchaîné du
16 janvier, Sarkozy qualifiant la candidate UMP Françoise de Panafieu d'"idiote"... on pourrait
avoir l'impression que nos hommes d'État sont frappés les uns après les autres par le syndrome
Gilles de la Tourette. Ce fascinant trouble obsessionnel compulsif se manifeste par des tics
moteurs affectant le cou, le visage, les membres supérieurs, le tronc, et surtout par une
coprolalie, c'est-à-dire des geysers de mots grossiers intempestifs.
A la place de pauvre con, un peu plat, on suggère éventuellement pour une prochaine
algarade: "Sale plouc", "vieux schnock", "couille molle", "tête triangulaire", "chien puant",
"baltringue", "nazi"... On raconte que le président Chirac, traité un jour de "connard" par un
citoyen dans la foule, se serait tourné vers l'assaillant avec un grand sourire: "Enchanté,
monsieur, moi c'est Jacques Chirac!".
On va finir par le regretter.
Actes du colloque «Le français parlé dans les médias: les médias et le politique» (Lausanne / 2009)
Marcel Burger, Jérôme Jacquin, Raphaël Micheli (éds)