CON (RFI, 25/02/2008) Yvan Amar

Casse-toi, pauvre con! En voilà une expression vive et familière! On peut même dire populaire! Une

vidéo, sur le site d’un quotidien français, laisse entendre le chef de l’Etat français, très rapidement,

prononcer cette phrase somme toute assez anodine.

Ce n’est pas une affaire d’Etat, ce n’est d’ailleurs pas une affaire du tout, et de toute façon, Nicolas

Sarkozy n’est pas le premier président de la République française à avoir un langage un peu vert, en

marge de ses paroles officielles: le général de Gaulle était, paraît-il, coutumier de la chose, et Jacques

Chirac aussi. Mais ça nous donne l’occasion, pas si fréquente dans le mot de l’actualité, d’aborder

justement ce genre de langage populaire et très courant.

Et on peut l’aborder par exemple d’un point de vue historique, et même historique récent. En effet, on

sait que les mots argotiques ou familiers, qui appartiennent beaucoup plus à la langue parlée qu’à la

langue écrite, ont des temps et des durées de vie très imprévus: parfois très longs (il y a beaucoup de

mot d’argot qui remontent au Moyen Âge), parfois avec des modes, ou des sens qui durent très peu.

C’est d’ailleurs pareil pour l’espace: un mot n’a pas le même degré de grossièreté selon la latitude où

on le prononce.

On a dit par plaisanterie, mais il y a quelque chose de vrai là-dedans, que le mot "con", dans le sudouest

de la France, était plus une ponctuation qu’un mot. Il est vrai que parfois il est presque

l’équivalent familier de "dis-moi" ou "eh ben! ": "Tu arrives avec deux heures de retard, con!". Bien

sûr on est dans un registre très familier. Mais même dans le nord de la France, le mot n’a pas la même

valeur aujourd’hui qu’il y a trente ans: en une ou deux générations, il a changé de silhouette, et s’il

n’est pas indiqué dans une société choisie, il est bien plus souvent entendu.

Le mot "con" a aujourd’hui un sens standard: il est relativement insultant, et correspond bien souvent

à crétin, imbécile, en plus fort et plus cru.

Mais le mot a un sens propre le plus souvent oublié, et en tout cas qui n’est nullement présent dans

son emploi ordinaire: c’est l’un des nombreux mots qui désignent le sexe féminin, et depuis fort

longtemps: il dérive du latin (cunnus avait ce même sens), mais il est incroyablement en perte de

vitesse dans cet emploi. Ce n’est pas qu’aujourd’hui on soit plus prude, ou qu’on en parle moins, mais

on a recours, le plus souvent à d’autres mots.

Vers le XVIIIe siècle, d’après le dictionnaire historique d’Alain Rey, on commence à en trouver des

attestations avec le sens d’imbécile. L’emploi oral dans ce sens est vraisemblablement plus ancien,

mais les mots s’envolent alors qu’on le sait, les écrits restent. Le glissement de sens est évidemment

sexiste, et même, on peut le dire, macho. Même si, à y bien regarder, on trouve des dérives de sens qui

font glisser des sobriquets du sexe masculin, en lui donnant le sens d’imbécile.

Actes du colloque «Le français parlé dans les médias: les médias et le politique» (Lausanne / 2009)

Marcel Burger, Jérôme Jacquin, Raphaël Micheli (éds)

non prononcé en radio [ On se souvient que bien souvent le mot est utilisé dans des expressions qui

indiquent simplement un sens négatif: "un jeu de cons", est un jeu idiot; "une idée à la con" est une

idée idiote. Là encore, tout dépend du contexte: ce n’est jamais une langue très surveillée, mais ce

n’est pas non plus abominablement vulgaire… juste un peu! Tout est affaire de contexte. Et même

l’adjectif préalable "pauvre con! " n’est pas très aimable certainement, mais plus anodin que "sale

con". ]

CON (Libération, 01/03/2008) Didier Péron

"Casse-toi pauvre con" est devenu, en quelques heures, le slogan phare de la présidence

Sarkozy, supplantant - sur fond d'augmentations mirifiques du plat de coquillettes et de

redémarrage à la hausse du chômage - le déjà complètement éculé: "Travailler plus pour

gagner plus." Cette répartie du Président à un visiteur du Salon de l'agriculture - un homme

d'un certain âge accueillant la main tendue de Sarkozy du peu cordial (et grammaticalement

incorrect) "Touche-moi pas, tu me salis" - était étrangement minorée, notamment par Jean-

Pierre Raffarin, comme "un dialogue privé, d'homme à homme, direct et viril". Direct, d'accord,

mais viril? L'insulte structure le champ politique, elle déplace la violence physique dans l'ordre

de la joute verbale. En latin, "insultare" désigne encore l'action physique de sauter sur

quelqu'un.

Il s'en est donc fallu de peu que Sarkozy et le visiteur ne se crachent sur les poings et se

castagnent comme deux matamores tout rouges dans la cour de récré. Il faut dire que le Salon

de l'agriculture est un haut lieu de la contestation politique et du franc-parler gaulois.

Rappelons ainsi que l'association féministe les Chiennes de garde fut créée en réaction aux

invectives sexistes lancées par les agriculteurs furibards contre Dominique Voynet en mars

1999. Entre autres amabilités servies à la ministre de l'Environnement: "Tire ton slip, salope!",

Édith Cresson, première femme à occuper le poste de Premier ministre à Matignon, fut

accueillie par des paysans avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: "On l'espère

meilleure au lit qu'au ministère." Patrick Devedjian laissant échapper un "salope", fort

disgracieux chez un homme d'habitude si pondéré, à propos de la candidate Modem aux

dernières législatives Anne-Marie Comparini ou, selon une indiscrétion du Canard enchaîné du

16 janvier, Sarkozy qualifiant la candidate UMP Françoise de Panafieu d'"idiote"... on pourrait

avoir l'impression que nos hommes d'État sont frappés les uns après les autres par le syndrome

Gilles de la Tourette. Ce fascinant trouble obsessionnel compulsif se manifeste par des tics

moteurs affectant le cou, le visage, les membres supérieurs, le tronc, et surtout par une

coprolalie, c'est-à-dire des geysers de mots grossiers intempestifs.

A la place de pauvre con, un peu plat, on suggère éventuellement pour une prochaine

algarade: "Sale plouc", "vieux schnock", "couille molle", "tête triangulaire", "chien puant",

"baltringue", "nazi"... On raconte que le président Chirac, traité un jour de "connard" par un

citoyen dans la foule, se serait tourné vers l'assaillant avec un grand sourire: "Enchanté,

monsieur, moi c'est Jacques Chirac!".

On va finir par le regretter.

Actes du colloque «Le français parlé dans les médias: les médias et le politique» (Lausanne / 2009)

Marcel Burger, Jérôme Jacquin, Raphaël Micheli (éds)


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