Les droits subjectifs

Le droit objectif reconnaît aux individus des prérogatives, des aires d'action, des sphères d'activité, dont ils vont jouir sous la protection de l'Etat; ce sont les droits individuels, les droits subjectifs (les droits de la personne, que l'on appelle justement sujet de droit). II est difficile de faire apparaître l'essence du droit subjectif. Les uns ont dit: c'est un pouvoir de vouloir; les autres: un intérêt pris en considération par le droit, un intérêt juridiquement protégé. Le vrai est que le droit subjectif est une des notions premières du droit et défie quelque peu l'analyse.

Le droit civil, en particulier, a été et demeure construit sur cette notion. Un grand nombre de théories générales — dont la connaissance préalable (ne fût-ce que par voie axiomatique) commande L'étude de l'ensemble du droit civil — peuvent être rattachées soit à la création, soit à la réalisation des droits subjectifs.

Création des droits subjectifs

Le droit subjectif est un pouvoir, mais un pouvoir garanti par l'Etat, parce qu'il est conforme au droit objectif. II existe des pouvoirs qui ne sont pas des droits subjectifs, parce qu'ils ne sont pas conformes au droit objectif: des pouvoirs de fait, des maîtrises purement matérielles. Parmi ces pouvoirs de fait, il en est un qui a une exceptionnelle importance; c'est la possession.

Dans la langue technique, possession et propriété ne doivent pas être confondues: la propriété est le droit, la possession n'est que le fait. Le voleur qui se sert de l'objet volé en est possesseur, non pas propriétaire; le paysan qui, déplaçant des bornes, a annexé une bande du champ voisin, n'en est pas propriétaire, mais seulement possesseur. Tous deux sont possesseurs de mauvaise foi, parce qu'ils savent bien n'être pas propriétaires. D'autres possesseurs le sont de bonne foi: si j'achète un immeuble à quelqu'un que j'en crois propriétaire, mais qui ne l'est pas en réalité, je n'en deviens pas moi-même propriétaire; j'en suis simplement possesseur et, en raison de ma croyance erronée, possesseur de bonne foi. Or, la possession, bien qu'elle ne soit qu'un fait, produit par elle-même des conséquences juridiques. Sans doute, si le propriétaire demande en justice le rétablissement du droit (en réclamant, par une action en revendication, la restitution de son bien), il l'obtiendra. Mais, en attendant, le possesseur jouit, à titre provisoire, d'une certaine protection (protection possessoire): le possesseur d'immeuble a des actions spéciales (actions possessoires, a. 1264 s., C. Pr. C.) pour se maintenir contre ceux qui le troubleraient dans sa possession, et tout possesseur a le bénéfice d'être défendeur, dans le procès sur la propriété, donc d'être présumé propriétaire jusqu'à preuve contraire. Pourquoi un fait contraire au droit se trouve-t-il ainsi protégé? C'est la paix publique qui le veut. Les possessions sont des apparences tranquilles, que nul particulier ne doit pouvoir troubler, fût-ce sous prétexte d'un droit, car la justice privée est prohibée. Et quand la durée s'y est ajoutée, il ne faut même plus que la justice publique puisse les remettre en cause (quieta non movere): la paix vaut plus que la logique juridique.

La théorie de la possession, construite pour la propriété, a été transposée non seulement à d'autres droits réels (ex. servitude), mais même à des rapports juridiques d'une nature très distincte. Notamment, dans le droit de la famille, on parle de la possession d'état: un homme et une femme qui vivent comme s'ils étaient mariés ont la possession d'état d'époux; un enfant qui a été traité par deux conjoints comme s'il était leur enfant a la possession d'état d'enfant légitime. Or, ces possesssions d'état produisent des conséquences juridiques plus ou moins étendues: la situation de fait, sous certaines conditions, fait parfois présumer le droit.

De la théorie de la possession, il faut rapprocher celle de l'apparence. A la mort d'une personne, son plus proche parent s'est saisi de ses biens; tout le monde le prenait pour l'héritier; or, il se trouvait déshérité par un testament découvert plus tard. Si, dans l'intervalle, il a vendu des immeubles dépendant de la succession à des tiers de bonne foi, ces ventes seront valables, et le véritable propriétaire (le légataire désigné par le testament) sera tenu de les respecter. L'erreur collective, l'apparence a créé le droit (error communis facit jus).

Les différentes sortes de droits

La distinction d'où ii faut partir est celle du droit réel (jus in re) et du droit personnel selon que la personne a un droit sur une chose ou à l'égard d'une autre personne, selon que, dans le rapport de droit, elle se trouve placée en face d'une chose ou d'une autre personne. L'étude successive de ces deux sortes de droit nous conduira à la notion de patrimoine.

Le droit réel

C'est le pouvoir juridique exercé directement sur une chose et permettant de retirer tout ou partie de ses utilités économiques. Mais les choses sont diverses, et aussi les droits que l'on peut avoir sur elles.

a)Les choses dans le droit. — Les choses vues par le droit prennent le nom de biens, en raison des avantages qu'elles procurent à l'homme. Le C.C. s'en occupe pour, immédiatement, les classer en deux grandes catégories: meubles et immeubles. Cette division a été une des pierres angulaires du droit civil. Elle sousentend encore aujourd'hui une certaine diversité de régime. A la base, ne cherchons plus l'explication traditionnelle (qui serait certainement devenue inexacte aujourd'hui, avec le développement de la richesse mobilière: titres de bourse, fonds de commerce, etc.) — savoir, que les immeubles ont incomparablement plus de valeur que les meubles (res mobilis, res vilis) — mettons-y plutôt cette idée, qui demeure vraie, que les immeubles ont une signification familiale que n'ont pas les meubles, une vertu d'enracinement de l'être humain, et qu'ils doivent donc, par préférence, être conservés dans les familles.

Sont immeubles, par leur nature même, le sol et les bâtiments. Il faut y ajouter des objets, physiquement mobiles, mais qui sont affectés à l'exploitation du sol et des bâtiments, de sorte que, dans une vente, une saisie, ou quand il s'agit de déterminer ce qui va entrer dans la communauté entre époux ou rester en dehors, il serait économiquement indésirable de rompre le lien d' accessoire à principal qui les unit; le C.C. en donne des ex., dans un paysage presque exclusivement rural; ce sont les immeubles par destination. Enfin, plus artificiellement, il est des droits qui sont immeubles par l’objet auquel ils s'appliquent: si j'ai le droit de percevoir ma vie durant les revenus d'un bien (droit d'usufruit), ce droit est regardé lui-même comme un bien, et s'il porte sur un immeuble, il est immeuble.

On peut dire que tout ce qui n'est pas immeuble est meuble. De façon plus précise, sont meubles par leur nature même, les choses mobiles. Et artificiellement, par détermination de la loi, sont meubles les droits personnels, les droits de créance, tendant à ce que le débiteur remette des objets mobiliers au créancier. Comme la monnaie fait partie de ces objets mobiliers, toutes les créances de sommes d'argent sont meubles. Par-delà, sont encore des meubles les droits des associés dans une société, car ces droits sociaux sont, au fond, des créances contre la personne morale. Ainsi, toutes les valeurs mobilières (rentes sur l'Etat, obligations, actions), tous les titres de bourse, entrent dans la catégorie des meubles.

La notion des meubles par détermination de la loi évoque une autre distinction: celle des biens corporels et incorporels. A côté des biens corporels, qui tombent sous les sens (immeubles ou meubles selon la réalité physique), on parle de biens incorporels, qui n'ont qu'une existence abstraite, forgée par le droit, parce qu'ils représentent pour l'homme une valeur économique. Les droits (ex. usufruit, créance) dont l'objet immédiat ou médiat est un bien corporel, sont regardés eux-mêmes comme incorporels, parce qu'ils ne s'identifient pas avec leur objet. Mais il y a, en quelque manière, des biens incorporels absolus: des droits qui ne se rattachent à aucun bien corporel. Ex. la clientèle d'un commerçant, source de profits pour lui; de même, ce que l'on appelle la propriété littéraire et artistique, le droit, pour l'écrivain ou l'artiste, d'exploiter son œuvre et d'en tirer des bénéfices pécuniaires. Ces biens incorporels absolus sont toujours traités comme meubles.

b) Les droits sur les choses. — II existe une classification, généralement acceptée, des droits réels.

1° Droits réels principaux (du premier degré). — Tous ont une physionomie commune, en ce qu'ils tendent à l'utilisation directe des choses, prises dans leur matérialité, mais ils diffèrent par l'étendue.

— Droit de propriété (définition célèbre dans l'art. 544). C'est le droit réel type: il absorbe toutes les utilités de la chose et n'a pour limite que la chose elle-même. On l'analyse en trois attributs: usus (droit de se servir soi-même de la chose), fructus (droit d'en percevoir les fruits au sens juridique, c'est-à-dire les revenus, non pas seulement des récoltes, mais des loyers, des fermages, des intérêts de créances), abusus (droit de disposer de la chose en l'aliénant);

— Droits réels démembrés de la propriété. C'est d'abord l'usufruit (définition dans l'art. 578; mais il y manque un trait essentiel, le caractère viager; le droit s'éteint à la mort de l'usufruitier, art. 617): l'usufruit ne comporte que deux des trois attributs de la propriété, l'usus et le fructus. Ce sont ensuite les servitudes (définition dans l'art. 637): on entend par là le droit pour les propriétaires d'un immeuble de retirer, à perpétuité, certains services d'un immeuble voisin: le droit d'y passer, le droit d'aller y puiser de l'eau, etc.

2° Droits réels accessoires (de garantie, du second degré). Ils sont l'accessoire de créances, dont ils garantissent le paiement. Ils portent moins sur la chose elle-même prise dans sa matérialité que sur la valeur pécuniaire qu'elle représente et que l'on dégagera en la vendant. Tel est le cas de l'hypothèque (sur les immeubles, art. 2114) et du gage (sur les meubles, art. 2071 s.). Le créancier hypothécaire, par ex., à l'échéance, a le droit de faire saisir l'immeuble hypothéqué (même si le débiteur l'a, dans l'intervalle, vendu à un tiers; c'est le droit de suite) et de se payer sur le prix par préférence aux autres créanciers (c'est le droit de préférence).


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